Le rêveur cuirassé
Le Cancer s’installe dès que le Soleil amorce sa chute, juste après le solstice d’été. C’est la lumière qui décline lentement, le jour qui commence à céder, la chaleur qui frissonne déjà de nostalgie. Son glyphe ressemble à deux spirales inversées, deux crochets repliés sur eux-mêmes : il figure le retour en soi, la réversibilité des marées, le reflux après l’extase. Premier signe d’eau du zodiaque, il est aussi le premier refuge.
Signe de la Lune, le Cancer ne brille pas, il luit. Il n’éclaire pas, il murmure. Il vit à la frontière du visible et de l’invisible, dans une pénombre affective et imaginaire, où tout est sensation, onde, écho. C’est le chant discret du monde intérieur, la plainte d’un coquillage porté à l’oreille, le souffle chaud du souvenir. Sa nature est celle des eaux matricielles, lentes et profondes, où germe la vie à l’abri des regards : lait, sève, liquide amniotique, pluie douce.
Le Cancer est le signe de l’abri. De l’intérieur. De la coquille. Il évoque la grotte primitive, l’utérus, la maison natale, la chambre d’enfant, la couverture qu’on tire sur soi les soirs d’orage. Il protège, conserve, couve, cajole. Il est tout entier dédié au monde de ce qui est contenu : œufs, secrets, émotions, silences. Il incarne ce que Jung appelait l’archétype maternel : tout ce qui enveloppe, nourrit et réchauffe ce qui est fragile.
Mais ce n’est pas une douceur passive. Le Cancer a sa cuirasse. Le crabe, son animal emblème, avance de biais, pince en avant, prêt à fuir comme à se défendre. Derrière la mollesse apparente, un instinct de préservation acéré. Derrière la timidité, une ténacité farouche. On le croit vulnérable, il est tenace. On le croit doux, il peut être tranchant. Il sait regagner son trou avec une promptitude comique et touchante. C’est un être cuirassé de mémoire.
Car le Cancer vit dans le souvenir. Il ne se contente pas de regarder en arrière : il y réside. Il ne se penche pas sur son passé, il s’y baigne, s’y love, s’y perd parfois. Il ne fait pas de projets d’avenir, il fait des projets de passé. Il rêve en rétroactif. S’il a une ambition, ce serait celle de reconstruire ce qui fut, de rapiécer l’intime, de repeupler les absences.
Cette orientation vers l’arrière s’accompagne d’une étrange fantaisie. Le Cancer est rêveur, lunatique, fantasque. Il promène dans le monde son monde à lui. C’est un mondain introverti, un ermite sociable, un poète domestique. Il ne sait jamais vraiment s’il veut qu’on le voie ou s’il préfère observer. Il avance de biais, recule avec style, s’arrête souvent. Son mouvement est intérieur, comme une marée d’émotions qui monte sans prévenir.
Il marche à l’intuition, au frisson, au frémissement. Il capte tout, absorbe tout, digère tout. C’est un inconscient sur pattes. Une fabrique à fantasmes, à réminiscences, à rêveries sans fil conducteur. Son psychisme est un grenier : fouillis, mystérieux, rempli de choses précieuses mais empoussiérées. Il transforme le conscient en inconscient avec obstination – une sorte d’alchimiste affectif qui mâchonne tout ce qui passe pour en extraire des larmes ou des poèmes.
Le Cancer est fécond. Pas seulement biologiquement – encore que ce soit un grand signe de maternité et de paternité affective –, mais dans sa manière de produire des mondes. Il pond des histoires, des paroles, des billets, des lettres, des contes. Il est prolifique à la manière de la mer : tout y vit, tout y naît, tout y meurt doucement. Ses créations sont parfois floues, parfois géniales, souvent attachantes.
Sa planète, la Lune, gouverne l’humide, le changeant, le cyclique. Elle le rend impressionnable, sensible à toutes les marées humaines. Le Cancer a ses phases. Il a sa face cachée, qu’il se cache souvent à lui-même. Il a aussi son miroir-mirage, dans lequel il se regarde de biais, comme s’il ne voulait pas se voir en face. Tantôt enchanteur, tantôt mélancolique, il est un prestidigitateur de l’émotion.
Il a l’air humble, mais c’est souvent un masque. Il ironise volontiers, peut-être pour masquer son hypersensibilité. Il entend tout, mais n’écoute pas toujours – il capte, plutôt, comme une antenne délicate. Il vit sa solitude au cœur de la foule. Il aimerait qu’on le prenne avec des pincettes, mais la nature, malicieuse, l’a doté de grosses pinces. Il pince pour se défendre, il pince pour rire, il pince aussi pour aimer.
Ses relations sont teintées d’ambivalence : il veut l’indépendance et le giron, la solitude et la fusion. Il appelle souvent sa mère – au sens littéral ou symbolique. Elle lui manque, elle l’étouffe, elle le fonde. Le Cancer est à la fois l’enfant et la matrice. Il rêve de protection, mais il la redoute. Il se réfugie dans la mémoire d’un amour inconditionnel, qu’aucun présent ne peut égaler.
À force de repli, il finit parfois par douter de l’existence du monde extérieur. Montaigne écrivait : « Je me roule en moi-même. » C’est le programme secret du Cancer. Il s’enroule, se referme, s’ausculte. Il peut glisser vers la névrose douce, les maladies longues, les douleurs diffuses, les insomnies peuplées d’images floues. Il guérit lentement, parfois jamais tout à fait – mais il continue à rêver. Et ce rêve est sa vraie santé.
Dans le zodiaque, le Cancer occupe le milieu. Il est médiateur entre les mondes. Il relie le formel à l’informel, le visible à l’inconscient, le haut au bas. Il est la charnière entre la lumière triomphante du Bélier, du Taureau et des Gémeaux, et les signes plus intérieurs et profonds de l’été et de l’automne. Il est seuil, passage, sas. Il est aussi medium, au sens ancien : celui qui reçoit, transmet, capte ce qui vient d’ailleurs.
Ce qu’il offre au monde, c’est sa capacité à ressentir, à se souvenir, à prendre soin. À réchauffer ce qui tremble. À parler à voix basse, pour qu’on l’écoute mieux. Il ne construit pas des tours, mais des nids. Il ne parle pas fort, mais il touche au cœur.
