Dans le grand ballet du zodiaque, les Poissons ferment le cercle, et pourtant, ils sont partout et nulle part à la fois. Douzième signe, ultime étape avant le printemps, ils sont les vestiges de l’hiver qui s’efface dans les brumes marines d’un monde intérieur, liquide, indéfini, tissé d’ombres et de pressentiments. Ici, les contours s’évanouissent. Les formes fondent. Le moi s’efface, et quelque chose de plus vaste — parfois mystique, parfois inquiétant — vient prendre sa place.
Les Poissons sont un signe d’Eau, mais pas n’importe laquelle : pas l’eau vive du Cancer, pas l’eau souterraine du Scorpion — non, ici, c’est l’océan total, l’immensité salée dans laquelle tout se dissout. Une eau où l’on ne distingue plus le haut du bas, ni le début de la fin. Ils nagent dans le monde de l’indistinction. Ils flottent, ils ondulent, ils se perdent et se retrouvent. Leurs maîtres planétaires ? Jupiter, pour l’ampleur, la dilatation, la foi. Et Neptune, dieu des songes, des illusions et des fusions.
La tradition les représente sous forme de deux poissons, attachés l’un à l’autre, tête-bêche, comme deux idées contraires reliées par un fil d’argent. D’un côté, l’appel à l’absolu. De l’autre, la tentation de tout lâcher. C’est un signe qui hésite entre l’infini et le néant, le mysticisme et la fuite, l’extase et l’oubli.
Le Poisson pleure, mais sans bruit. Il rit aussi, aux larmes, mais personne ne le voit. Il s’évapore dans les sensations, dans les ambiances, dans les soupirs. Son intuition est redoutable — mais trop abondante pour qu’il sache toujours quoi en faire. Il sait avant de savoir. Il ressent avant de comprendre. Mais il doute. Et ce doute l’emporte souvent là où l’analyse ne suit plus. Comme Victor Hugo parlant aux esprits ou Chopin écrivant des préludes pour ne jamais commencer. Il nage dans l’intuition comme d'autres piétinent dans la logique.
Ce n’est pas que le Poisson manque de sens pratique. Il le fuit. Il est ailleurs. Ce n’est pas qu’il soit lâche — mais il sait à quel point toute vérité est relative. Il voit les contraires coexister, le bien dans le mal, le faux dans le vrai. Il a ce regard flottant qui embrasse tout sans rien fixer. C’est un signe de fusion, de confusion aussi.
Le Poisson vit dans l’eau — c’est-à-dire dans un monde sans structures solides. Il n’a pas de squelette social. Il glisse entre les rôles, les identités, les obligations. On le croit indécis : il est multiple. Il change d’avis, de cap, de silhouette. Il peut virer à 180 degrés sans prévenir. C’est qu’il voit toujours plusieurs chemins — et qu’ils mènent tous quelque part, même s’ils tournent en rond.
On le traite parfois d’inconsistant. Il a la poignée de main molle, disent les mauvaises langues. Mais c’est qu’il ne veut pas retenir. Il veut épouser. Il n’oppose pas de résistance, non par faiblesse, mais par principe. Il laisse passer. Il accueille. Il absorbe. Parfois il en souffre, jusqu’à se dissoudre. Parfois il s’en élève, jusqu’à la transcendance. Car il y a dans le Poisson une possibilité mystique. Certains réussissent le prodige de remonter le courant tout en se laissant porter. Ils flottent sans dériver. C’est rare, mais c’est sublime.
Le Poisson est aussi cet être qui vit à la lisière. Entre rêve et réalité. Entre deux eaux. Entre la poésie et le quotidien. Il est capable de grandes compassions, d’élans désintéressés, de sacrifices silencieux. Il perçoit ce que les autres ne voient pas. Il capte les vibrations du monde. Il est perméable, éponge émotionnelle, antenne psychique. Il communie avec tout — parfois au prix de lui-même.
Et pourtant, malgré sa douceur apparente, il peut mordre. Un réflexe. Une impulsion. Et puis il regrette. Il n’aime pas la confrontation, il préfère la dérive. Il pardonne trop. Il s’oublie. Il aime trop. Il fond. Il veut tout. Il ne sait pas choisir, ou bien il choisit mal, comme s’il s’était trompé de film en entrant dans la salle. Mais il regarde quand même, en silence, jusqu’à la fin.
On dit des Poissons qu’ils sont insaisissables. C’est vrai. Essayez de les regarder dans les deux yeux en même temps : impossible. Ils filent entre les doigts. Ils sont là, puis ailleurs. L’un vous regarde avec l’air d’un merlan frit ; l’autre est peut-être déjà au bord d’une illumination. Il faut dire que les Poissons ont souvent un rapport particulier à la foi, au mystère, au sacré. Ils sentent le divin, parfois le diable — sans faire de différence très claire.
Ils aiment l’océan, mais ils voudraient parfois en sortir. Ils mettent des chaussures pour faire comme tout le monde — mais elles les blessent. Le réel les blesse. La matière les irrite. Ils rêvent d’autre chose. D’un ailleurs. D’une musique qu’ils entendent seuls. Et puis, ils se laissent porter. Ils attendent. Ils espèrent. L’avenir ? Ils l’écoutent venir, au loin, comme un ressac.
Le Poisson est attentiste, mais il n’est pas passif. Il observe. Il capte. Il pressent. Quelque chose va changer, il le sait. C’est la fin d’un cycle. Et déjà, quelque part, une étincelle. Le feu du Bélier, là-bas, au seuil du printemps. Une réaction. Un frisson. On avait presque oublié que tout recommence. Mais le Poisson le savait.
Car le Poisson est la fin et le début. Le point final et l’ellipse. Il nage dans l’indéfini, mais c’est lui qui annonce la naissance du neuf. Il est ce silence juste avant le cri. Ce sommeil profond d’où jaillit le réveil.
La vie est une fête foraine, dit-on, un peu triste, un peu gaie. Les Poissons y passent en rêve. Ils y flottent, ils y voguent. Ils y croisent tout le monde. Ils y laissent quelque chose de flou, de doux, de bouleversant.
Et quand ils s’en vont, on se demande s’ils étaient vraiment là. Puis on sent une goutte d’eau sur la joue. On regarde le ciel. Rien. Peut-être une étoile. Ou un poisson, au fond de l’air.