On ne sait jamais, entre la fin mai et le début juin, si l’on vit encore le printemps ou déjà l’été. Tout semble s’interchanger, se confondre, se répondre. C’est cette période trouble, vibrante et légère que gouverne le Gémeaux : troisième signe du zodiaque, enfant de l’air, disciple de Mercure.
Le Gémeaux est double. Et il l’est d’emblée. Il n’incarne pas seulement deux visages, mais deux élans, deux vérités, deux formes d’intelligence qui cohabitent sans toujours se comprendre. Il est la figure même de la polarité : masculin et féminin, ombre et lumière, esprit et corps, intuition et logique. Loin de chercher à résoudre ces tensions, il les habite, il les anime, il les traverse. Il n’est pas unité, mais oscillation. Et dans cette oscillation, il crée.
Son symbole ? Deux jeunes garçons enlacés, ou parfois un couple : homme et femme, Castor et Pollux, Seth et Horus. Même Mercure, sa planète tutélaire, n’est jamais là où on l’attend. Tantôt visible à l’aube, tantôt au crépuscule, souvent insaisissable. Les Égyptiens pensaient qu’il y avait deux Mercures. Les Gémeaux aussi.
Mercure, dieu des voleurs et des intellectuels, marche sur la corde fine qui sépare le génie de la ruse. Il est vif-argent, il prend la forme du récipient qui l’accueille sans jamais s’y figer. Le Gémeaux hérite de cette plasticité, de cette mobilité fondamentale. Il est l’éternel mouvant. Il capte, il relie, il transporte – des idées, des mots, des objets, des désirs. Il est le trait d’union du zodiaque, l’arpenteur des contraires, le catalyseur du lien.
Sous son règne, tout s’accélère. Le monde bruisse. Le cerveau s’embrase. Ici, l’instinct n’a plus la main : la personnalité s’érige sur un mécanisme plus cérébral, plus subtil. La sensibilité devient objet d’observation, parfois même de raillerie. L’être se scinde. Une part vit, agit, s’émeut ; l’autre regarde, commente, critique. Le Gémeaux est à la fois acteur et spectateur de sa propre vie. Il est son propre double, son propre témoin. Cela donne un charme piquant, une ironie légère, une élégance d’âme qui charme autant qu’elle déroute.
Dans la conversation, il brille. Quand il ne parle pas, il écrit. Quand il n’écrit pas, il calcule. C’est un camelot raffiné, un causeur-né, un joueur d’échecs qui préfère improviser. Il tire son épingle du jeu avec panache, car le jeu, justement, est ce qu’il préfère. Il n’aime pas les règles, mais il excelle à les détourner. C’est un mental agile, rapide, rieur. Un esprit acrobate qui bondit d’idée en idée, souvent sans s’attarder, parfois sans conclure.
On dit qu’il est superficiel. Il l’est parfois, mais c’est une superficialité ample, curieuse, nerveuse. Une superficialité qui explore, qui effleure, qui comprend sans s’attacher. Les esprits « profonds » mais rigides supportent mal le Gémeaux : il leur échappe, les désarçonne, les amuse, parfois les irrite. On se plaint beaucoup des Gémeaux – mais rarement à eux. Leur air étonné, presque enfantin, désarme les reproches. Ils vous regardent comme si vous veniez de leur annoncer une nouvelle étrange et magnifique. Et l’on finit par douter de ses propres griefs.
Le Gémeaux a quelque chose de juvénile, dans son allure, sa voix, son regard. Il « fait jeune », souvent très longtemps. C’est une jeunesse intérieure, une légèreté d’être qui persiste malgré l’âge. Il a le goût des commencements. Il aime les départs, les promesses, les possibles. Le concret l’intéresse moins que l’élan, moins que l’idée. Il commence tout, il finit peu – non par inconstance, mais parce que chaque fin lui semble le début d’autre chose. Il vit dans le passage, dans l’échange, dans la traversée. Il est partout et nulle part. Il faut attendre qu’il revienne. Et il revient toujours avec une anecdote, une histoire, une observation fine qui fait oublier son absence.
L’amour, chez lui, obéit aux mêmes lois : il se décline en pluriel. Le Gémeaux rêve d’unions doubles, de liaisons croisées, de fantaisies affectives sans drame. Il se donne rarement, mais il ne sait pas se refuser. C’est un cœur joueur, plus qu’un cœur lourd. Il fait souvent aimer la légèreté, même à ceux qui s’en méfient. Sa tendresse est vive, immédiate, déstabilisante. Sa fidélité ? Aléatoire. Mais sa présence, quand elle est là, est radieuse.
Physiologiquement, le signe est dit d’air et de souffle. Ses points faibles : les poumons, les bronches, les épaules, les bras. On a vu bien des Gémeaux jeunes, brillants, émouvants, emportés par la phtisie ou la tuberculose, maladies de l’air et de l’épuisement nerveux. Car le Gémeaux brûle sa vitalité par l’esprit. Il s’enflamme de l’intérieur. Son énergie est vive mais parfois éparse. Il se disperse, il papillonne, il s’épuise. Mais jamais il ne s’alourdit.
Dans le zodiaque, il prépare l’été. Il est la phase de transition entre la montée des sèves et leur explosion solaire. Il est le vent qui précède la chaleur, le mouvement qui précède l’extase. Il aime les villes jumelées, les chambres doubles, les identités troubles. Il est fait pour la multiplicité, pour la connexion, pour l’inédit. Il n’est ni ceci ni cela. Il est toujours un peu l’un, un peu l’autre. Et cela, toujours pleinement.
Il est parfois voleur d’attention, mais toujours généreux en idées. Il éveille, il stimule, il interroge. Le Gémeaux vous oblige à penser autrement, à douter mieux, à sourire plus vite. Il ne vous fixe jamais – mais il vous traverse. Comme une rafale. Comme une phrase trop bien tournée. Comme un éclat d’intelligence dont vous n’avez pas tout saisi, mais que vous n’oublierez pas.
Aucun signe n’est plus difficile à enfermer dans une définition. Le Gémeaux est un labyrinthe dont chaque couloir est éclairé par une lampe différente. Il vous égare avec grâce. Il vous perd avec panache. Et vous le suivez encore, parce qu’avec lui, le monde ne cesse jamais de recommencer.
