Le Capricorne naît au cœur de l’hiver, dans la nuit la plus longue de l’année. Il ouvre les yeux quand la nature semble s’éteindre, quand le monde extérieur, figé par le froid, pousse l’homme à rentrer en lui-même. Le solstice d’hiver, qu’on appelait autrefois la « porte des dieux », marque cette frontière mystérieuse où la mort apparente des choses coïncide avec la promesse d’un renouveau. C’est l’heure zéro. Le commencement.
Dixième signe du Zodiaque, le Capricorne incarne la fin d’un cycle et l’ébauche d’un autre. Mais il n’aime ni les feux d’artifice ni les grandes déclarations. Il se glisse dans le silence, dans l’effacement, là où s’élabore en secret l’œuvre lente du monde. La graine enfouie sous la terre gelée commence déjà à rêver d’épi. Il n’y a pas d’élan sans retrait, pas de cime sans profondeur. Le Capricorne est cette tension même.
Son symbole – une créature mi-chèvre, mi-poisson – révèle d’emblée l’ambivalence de sa nature : il grimpe et il plonge, il aspire à la montagne autant qu’il est attiré par l’abîme. Ce bouc à queue de poisson n’est pas là pour plaire, il est là pour accomplir. Et s’il semble réservé, froid ou distant, c’est qu’il vit ailleurs : dans un royaume intérieur, rigoureux et secret, où tout est pesé, contenu, mûri longuement.
Rien ne vient vite chez lui. Le Capricorne construit. Il élabore. Il tient. Son maître, Saturne, le vieux dieu du temps, le pousse à s’édifier pierre à pierre. Le Capricorne apprend à durer, à supporter, à renoncer même, quand cela permet d’aller plus haut. Il est sobre. Austère parfois. Il parle peu, agit lentement, mais son regard perce les murs et les gens. Il voit loin. Il vise haut.
Ce n’est pas qu’il n’aime pas les autres. Simplement, il n’est jamais très à l’aise en compagnie. Les bavardages l’ennuient, les festivités le fatiguent. Le pluralisme lui donne mal à la tête. Quand on lui demande ce qu’il pense du monde, il dit qu’il y a trop de monde. Il préfère être mal aimé seul que mal aimé entouré. Sa solitude n’est pas une fuite, c’est un espace de concentration. De verticalité.
Il ne brille pas, mais il persiste. Il n’éclate pas, mais il creuse. Quand il parle, c’est à voix basse, presque à contretemps. Ses réparties cinglantes arrivent souvent le lendemain. Alors il écrit. Il devient parfois écrivain, parfois homme politique : deux façons de répondre sans répondre. Comme le Christ qui s’exprimait par paraboles, ou comme Staline qui répondait en différé – ou par d’autres. Le Capricorne a le temps. Il est le temps.
On le croit misanthrope, mélancolique ou sec. C’est inexact. Il est simplement ailleurs, à l’écart, en dedans. Il a souvent l’air vieux dès l’enfance. Il ne comprend pas l’adolescence. Il rajeunit avec les années. C’est un enfant du temps, et Saturne le protège comme un père exigeant. À 20 ans, il semble en avoir 40 ; à 80, il rajeunit prodigieusement. Il inverse les courbes. Il est sa propre anomalie.
Sa vie est une ascension. Le Capricorne monte. Toujours. Parfois il tombe – et c’est une chute raide, brutale, solitaire. Mais même là, il reste digne. Il dira que c’était voulu. Qu’il a glissé exprès. Qu’il remontera plus haut la prochaine fois. D’ailleurs, il ajoute qu’il s’en fiche. Les sommets l’attirent, mais il sait qu’ils rétrécissent l’air, qu’ils isolent. Le détachement est sa façon d’aimer. Le renoncement, une discipline.
Il veut voir le loup sur la montagne. C’est son obsession secrète. Il ne sait pas très bien ce que cela signifie, mais il y tient. C’est son image intérieure. Il attendra le temps qu’il faudra. Il ne mourra pas sans avoir vu le loup sur la montagne. Ce rêve est à la fois mystique et ambitieux. Et c’est tout le Capricorne : une ambition si profonde, si silencieuse, qu’on la prendrait presque pour une absence d’ambition. Erreur. Il nourrit parfois même l’ambition de se débarrasser de ses ambitions – ce qui, on en conviendra, est un sommet en soi.
Il n’aime pas la facilité. Il la méprise. Il choisit la difficulté, s’y adonne avec méthode. Et parfois, au fond du trou, entre deux murs glacés, il s’entend dire : « En fait, la vie est simple. » Aussitôt, la vie lui rappelle que non. Le Capricorne est fragile des genoux. Il le sait. Il tombe souvent à genoux – mais sans jamais plier de l’intérieur. Il ne rompt pas. Il se réforme.
Il est le signe le plus élevé du Zodiaque, non par éclat, mais par exigence. Il grimpe, pas pour dominer, mais pour s’élever. Il accepte la solitude, il épouse le silence, il épouse même le froid – car c’est là, dans l’immobilité apparente, que tout recommence. La nuit la plus longue annonce déjà l’augmentation des jours. Il le sait.
Il ne cherche pas à plaire. Il cherche à être. Et quand il est enfin devenu, après des années d’effort, d’oubli de soi, d’entraînement intérieur, il glisse doucement vers le Verseau, en queue de poisson. La montagne s’efface, le flot recommence. L’eau l’accueille. Tout recommence. Car le Capricorne, qui veille dans le noir, n’est pas si pessimiste. Il sait que le jour revient.